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Management

Prise de décision : les 5 leçons clés de Colin Powell

Colin Powell est l’un des plus célèbres généraux américains qui a vu et vécu  l’art de décider. Au sortir de la première guerre du Golfe, alors qu’il était  chef des forces alliées, avait partagé son expérience de leadership à travers 18 leçons formulées simplement mais qui reflétaient toute la complexité de la prise de décisions en général et de la posture de leader en particulier. Cinq leçons, parmi ces dix-huit, font l’objet de cet article et sont particulièrement instructives dans le contexte singulier de la crise du Covid-19.

1- Apprendre la règle des 40/70

Pour prendre une décision, vous n’avez pas besoin de 100% de l’information nécessaire. A partir du moment où vous en possédez déjà 70%, toute information supplémentaire aura une utilité marginale. L’économiste et sociologue américain Herbert Simon avait obtenu un prix Nobel, en 1978, en expliquant cette logique de la rationalité limitée dans la prise de décision. En revanche, la probabilité de prendre une bonne décision est très faible lorsque vous disposez de moins de 40% de l’information nécessaire. Autrement dit, attendez d’avoir au moins 40% de l’information nécessaire avant de prendre des décisions, en particulier de long terme.

Que constatons-nous, en particulier dans les pays en train de sortir lentement de la pandémie ?

Les dirigeants rivalisent d’urgence et de précipitation pour « repenser le futur », nos modes et nos espaces de travail, nos modèles sociaux et économiques. Il y a dans les crises un dangereux besoin « d’être un leader », et donc d’avoir une vision à tout prix, d’avoir une lecture systémique, transformatrice d’une réalité qui apparaît chaotique au commun des mortels.

Dans cette crise, il y a un « maintenant », un « bientôt » et un « lointain ». Et ces trois espace-temps ne sont pas alignés. Entre juin et septembre 2020 en Europe, on est encore dans le « maintenant ». Il faut faire face, s’organiser comme on peut, inventer des mesures qui ne sont pas supportables dans la durée mais nécessaires dans l’instant. Entre septembre et décembre, on sera dans le « bientôt » : des espaces de travail reconfigurés, en partie cloisonnés, dans l’espoir d’éviter une reprise de la pandémie mais avec un retour à une forme de normale économique. Après, à partir de janvier 2021, on abordera le « lointain ». Comment organiser le travail et la société avec désormais une insécurité psychologique profonde ? Comment réinventer le travail, la vie en société, les transports, le management, la protection sociale, le salariat… dans l’étau intellectuel, émotionnel et cognitif d’une situation post-traumatique ? Des entreprises ont, en quelques semaines, promulgué des règles de télétravail définitives d’ici à la fin de l’année qu’elles ont amendées, sinon inversées quelques semaines plus tard face à des formes de désengagement profond qu’elles n’avaient pas anticipé.

2- Donner la parole aux premières lignes

En situation de crise, la tentation de l’état-major, ou pour parler en langage d’entreprise, du siège, est de prendre le contrôle et d’édicter des mesures d’urgence, en taille unique. Sans préjuger de la bonne intention qui préside à cet activisme, il y a plusieurs mécanismes à l’œuvre : montrer l’utilité du siège, apparaître comme responsable et décisif, afficher son courage et sa tête quand tous les autres les perdront, envoyer le signal qu’il y a un pilote dans l’avion qui a une compréhension plus globale du sujet. La règle évoquée par Colin Powell est totalement inverse : « Dans le feu de l’action, le commandant sur le terrain a toujours raison et l’échelon arrière a toujours tort, jusqu’à preuve du contraire ». La réalité est bien sûr plus complexe et en particulier, quand vous êtes aux commandes de plusieurs dizaines de pays, le rôle du groupe peut s’avérer décisif pour tirer les leçons des bonnes pratiques, anticiper grâce à l’expérience et la coordination, et élargir le champ de vision des personnes sous la pression. Mais la capacité, en période de crise, à déléguer le leadership, ou à respecter sa distribution naturelle, à écouter et à soutenir ceux qui sont au plus près de l’action n’est pas intuitive.

Plus généralement, le rôle du dirigeant se pose. La capacité à prendre une décision claire, au bon moment, exige d’être dégagé de la gestion des multiples à-coups et du flux continu d’informations d’inégale importance généré par la crise. Il existe plusieurs tests psychologiques distinguant les réactions en période de croisière et sous contrainte, qui montrent comment des individus extrêmement équanimes et stables en période normale développent des comportements directifs, irrationnels et parfois toxiques une fois soumis à des pressions inhabituelles. Cette équanimité et cette stabilité sont des ressources précieuses à préserver chez les dirigeants en situation de décision complexe, et à valoriser chez les dirigeants au plus près de l’action, dont la première nécessité est le soutien, non la direction.

3- Défier les pros sur leur terrain

Dans un jeu de rôles célèbre, on identifie les participants à un groupe confronté à un crash d’engin volant dans une zone hostile (le désert, la montagne, la lune…). Il leur est alors demandé de classer, d’abord individuellement puis collectivement, une liste de quinze objets par ordre d’importance pour leur survie. Ce jeu montre invariablement que le classement du groupe, obtenu dans le chaos et la douleur, est supérieur à n’importe lequel des classements individuels, car le groupe est plus créatif et corrige des biais. Sauf dans deux situations : l’urgence et l’expertise. La crise du Covid-19 a donné ce sentiment très fort de l’urgence de décisions à prendre et de l’expertise requise pour les prendre. Dès lors, les experts ont pris le pouvoir, du moins l’ont-ils cru. Or la nature des décisions à prendre relevait partiellement de l’expertise. Rarement la responsabilité du sachant n’a été aussi engagée. Et la fonction du sachant n’est pas de douter, c’est de savoir. « Je ne sais pas » et « On verra » sont deux grands absents, ou deux inaudibles de la période de crise.

Quel est le rôle d’un expert dans une situation de crise ? Informer. Poser des alternatives, en fermer d’autres. Etre un partenaire, un mentor, mais pas un décideur. Et du point de vue du leader, écouter ce n’est pas accepter ; il faut pousser les questions, ne pas accepter l’évidence. Ce qui va de pair avec les théories de la décision, c’est la théorie de l’engagement. Demander à des scientifiques de s’engager quand ils doutent revient à les forcer à assumer l’engagement, quel qu’il soit.

4- Se méfier des stéréotypes

Appliquer des stéréotypes – mêmes modemes – conduit à la rigidité, plutôt qu’à la souplesse dans l’exécution. Un des « prêt-à-penser », dès le début de la crise du Covid-19, a été d’affirmer que « rien ne serait plus jamais comme avant ». Au-delà de la phrase-valise, cela pose le principe qu’on exclut déjà une hypothèse avant même d’y réfléchir. De la même manière, la généralisation du télétravail, la réduction définitive et générale des voyages lointains, le non recours à des aides d’Etat… Le Covid-19 a été le monde des positions de principe. Le télétravail, en particulier, fait l’objet de nombreuses prises de position inexpugnables, avec toujours la même polarisation excessive sous deux angles : appliquer totalement le télétravail ou le refuser, et travailler de chez soi ou au bureau. Dans les deux cas, la gamme des possibilités est beaucoup plus large ; on peut travailler dans des « tiers lieux », ni chez soi, ni au bureau.

Colin Powell insiste, dans ses leçons, sur le fait que les grands leaders honorent leurs valeurs en permanence mais ils sont flexibles, agiles et créatifs sur la manière de les appliquer. Il y a dans la gestion de la crise du Covid-19 des vérités de l’instant qui ne perdurent pas et, parfois, des vérités contradictoires, ou plus précisément des objectifs contradictoires. Par exemple, le secteur du conseil est propice à l’expérimentation de formes avancées de télétravail mais, dans le même temps, il constitue souvent la porte d’entrée dans le monde actif pour de jeunes diplômés, qui ne sont pas encore rompus au fonctionnement des entreprises. Très vite, des partis pris trop unilatéraux peuvent venir contredire l’une ou l’autre de ces deux réalités. Les leaders efficaces dans les périodes de crise sont ceux qui réussissent à maintenir un niveau élevé de transparence, tout en démontrant ce que Roger Martin (ancien doyen de la Rotman School of Management de l’Université de Toronto) appelle une « pensée intégrative » : la capacité à faire face, de manière constructive, aux tensions qui opposent deux modèles et, au lieu d’en choisir un plutôt que l’autre, trouver une solution créative permettant de les combiner dans un nouveau modèle supérieur à chacun des deux autres.

5- Avoir des aspirations irréalistes

La crise du Covid-19 a été un challenge pour les professionnels qui vivent de la foi portée à leurs prédictions – des diseurs de bonne aventure aux représentants d’idéologies, aux économistes, aux sociétés de conseil… Dès le début de la crise, prendre la parole de manière forte dans un océan d’incertitudes a semblé relever du concours de vitesse. Deux grandes sociétés de conseil en particulier, sans doute les plus en vue et les plus respectables, ont ainsi publié des rapports d’une noirceur déprimante, mettant en garde les dirigeants qui ne prendraient pas la mesure du désastre en cours ni, en conséquence, les mesures toutes churchilliennes pleines de larmes, de sang, de sueur et de courage managérial. Oubliant à bon compte que Churchill incarnait d’abord un espoir, celui qu’en aucun cas on ne serait vaincus. Deux autres sociétés, Kom Ferry et Steelcase, ont de leur côté pris le temps, après tout le monde, de produire sans doute les deux documents les plus utiles à des dirigeants pour envisager positivement, avec beaucoup de pragmatisme, ce qu’il était possible de faire pour repartir tout en posant des alternatives ouvertes sur des bases réalistes.

Le leadership balance régulièrement entre deux tentations : celle du fameux « courage managérial », souvent associé à « l’exemplarité », et celle de la distorsion de la réalité pour plier le monde à une vision disruptive. En deux principes, ceux qui pensent que le rêve doit ressembler à la réalité, et ceux qui pensent que la réalité doit ressembler au rêve. Colin Powell insiste sur une dimension essentielle : le leader est un « dealer in hope », un marchand d’espoir. Il y a une illusion récurrente, une auto-persuasion chez les leaders que comme eux, les individus préfèrent qu’on leur dise la vérité, même si elle est terrible. C’est une projection qui ne tient pas compte de la nécessité de l’espoir. Ne pas mentir, mais trouver la ressource, y croire. Colin Powell est camusien, en cela que le rôle du leader est de se révolter contre l’absurdité du monde et de lui donner un sens qu’il n’a pas spontanément. Il est surtout conscient de l’effet démultiplicateur qu’ont à la fois l’optimisme et le pessimisme sur le moral des troupes, et son camp est tout choisi. Pas du côté des pisse-vinaigre, encore moins de ceux qui nient les difficultés, mais avec ceux qui dessinent des après souhaitables.

Cet article a aussi paru dans la version physique de votre magazine.

 

A propos de l'auteur

Sabine BIRGH

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