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Dossier

Pourquoi vous devriez créer un « shadow board » de jeunes collaborateurs

L’objectif, réunir des profils qui peuvent avoir une vision différente et trouver des solutions auxquelles vous n’aviez pas pensé.

Beaucoup d’entreprises sont confrontées à deux problèmes apparemment sans rapport : le désengagement des jeunes collaborateurs et une faible réaction aux conditions fluctuantes du marché. Quelques entreprises ont attaqué de front ces deux problèmes en créant un « shadow board » (ou « comité fantôme », NDLR) : un groupe de collaborateurs non cadres qui travaillent avec les cadres supérieurs sur des initiatives stratégiques. Le but ? Tirer parti des idées de ces groupes plus jeunes et diversifier les perspectives auxquelles sont exposées les cadres.

Ces « shadow boards » semblent fonctionner. Prenons par exemple Prada et Gucci, deux entreprises du secteur de la mode réputées pour leur capacité à suivre – ou à façonner – les goûts des consommateurs. Jusqu’à récemment, Prada bénéficiait de larges marges, d’un directeur de création légendaire et de bonnes perspectives de croissance. Mais, depuis 2014, elle a vu ses ventes décliner. En 2017, l’entreprise a finalement admis avoir été « lente à mesurer l’importance des canaux numériques et des “influenceurs” du Web qui disruptent le secteur ». Patrizio Bertelli, co-P-DG de l’entreprise (aux côtés de son épouse, Miuccia Prada, NDLR), a déclaré : « Nous avons fait une erreur. »

Une augmentation des ventes de 136%

Au cours de la même période, sous la direction du P-DG Mario Bizzarri, Gucci a opéré une transformation en profondeur qui a rendu l’entreprise plus adaptée au marché actuel. Gucci a créé un shadow board composé de « millennials », qui ont, depuis 2015, régulièrement rencontré l’équipe des cadres supérieurs. Selon Mario Bizzarri, le shadow board rassemble des gens issus de différentes fonctions ; ce sont « les personnes les plus talentueuses de l’entreprise – et beaucoup d’entre elles sont très jeunes ». Ils passent au crible les questions sur lesquelles travaille le comité exécutif et leurs idées ont « fonctionné comme un signal d’alarme pour les cadres ». Depuis, les ventes de Gucci ont progressé de 136% – passant de 3497 millions (exercice 2014) à 8285 millions d’euros (exercice 2018) –, une croissance en grande partie due au succès de sa stratégie sur le Net et dans le digital. Sur la même période, les ventes de Prada ont chuté de 11,5%, passant de 3551 millions (exercice 2014) à 3142 millions d’euros (exercice 2018).

Nous avons étudié des entreprises qui ont recours à des shadow boards, en essayant de déterminer ce que ces derniers apportent réellement à une organisation et quelles formes prennent les meilleures pratiques. Nous nous concentrons ici sur les expériences de trois entreprises.

Réinvention du business model. Face à la pression grandissante imposée par Airbnb, le groupe français AccorHotels avait besoin d’un nouveau business model. La direction a demandé au marketing de développer une marque destinée aux millennials. Cependant, au bout de deux ans, le marketing n’avait rien trouvé de satisfaisant. Arantxa Balson, directrice « talents et culture », décida de confier le projet à un shadow board. En 2018, la marque Jo&Joe est née. Considérée comme « un refuge urbain pour millennials », la marque véhicule un message de créativité et de flexibilité, ainsi qu’un fort sentiment d’appartenance à une communauté. Selon Arantxa Balso, si le shadow board a réussi, c’est notamment parce que ses membres se sont concentrés sur la vision qu’ils avaient et ils ont développé leurs arguments « sans se préoccuper d’aucune contrainte interne ou de coût ». Le shadow board a ensuite donné naissance à une autre innovation : l’Accor Pass, un abonnement hôtelier qui fournissait aux moins de 25 ans un endroit où séjourner pendant qu’ils cherchaient une résidence permanente.

Refonte des process. Stora Enso, une entreprise finnoise de papier et de packaging, a fait appel à son shadow board (dont elle appelle les membres « Pathfinders » et « Pathbuilders » – les « éclaireurs » et « paveurs de voie », NDLR) pour réexaminer la manière dont le comité exécutif affectait le travail. Avant ce changement, les tâches étaient confiées à des groupes que les cadres estimaient être des experts et, de ce fait, les meilleurs pour la mission donnée. Le shadow board les a convaincus de confier certains travaux à des non-experts, faisant valoir l’argument qu’une vision sans idées préconçues augmenterait les chances de succès. Un projet en particulier, visant à réduire les délais de la supply chain, avait tenu en échec une équipe supposément experte. En six mois, la nouvelle équipe est parvenue à élaborer un plan qui tenait la route. Aucun des membres de l’équipe n’était issu de la business unit en question, et aucun n’avait une expérience de la supply chain.

Transformation organisationnelle. CVL Srinivas, le P-DG de GroupM India, devait mettre en œuvre une transformation numérique et culturelle sur trois ans. Dans cet objectif, il a créé le YCO (Youth Comitee – Comité de la jeunesse, NDLR). Depuis sa création en 2013, le YCO a dirigé la vision 3.0 de GroupM, faisant du numérique la pierre angulaire qui allait soutenir la croissance future. En travaillant de manière transversale, au sein de tous les départements, le shadow board a aussi porté une grande initiative centrée sur la digitalisation des contrats. Cela a accru le nombre et amélioré la qualité des partenariats avec les groupes de médias, les fournisseurs de données, les consultants, les responsables d’audit et les start-up, renforçant ainsi l’écosystème de GroupM. En outre, le groupe a remarqué qu’il n’y avait pas tellement d’interactions interagences. Pour encourager les échanges constructifs, le YCO a développé un réseau social facilitant les discussions entre le management et les employés de niveaux inférieurs à travers les agences.

Visibilité accrue pour les millennials. Les études suggèrent que les millennials désirent ardemment avoir plus de visibilité et moins de difficultés d’accès, ce qu’offrent les shadow boards. Pour les membres d’un shadow board, cette visibilité débouche souvent sur une progression significative dans leur carrière. Chez Stora Enso, une membre du shadow board travaillait comme contrôleuse financière à l’échelle du groupe lorsqu’elle a intégré le programme. Le travail impressionnant qu’elle a fourni sur un projet impliquant l’une des activités historiques de l’entreprise (le papier) lui a valu d’être promue directrice des ventes du plus grand segment de l’activité papier, quelques mois après la fin du programme. Ainsi que l’a déclaré le directeur des ressources humaines, Lars Haggstrom, « sans le programme shadow board, cela [la promotion] ne se serait jamais produit ».

Quelles sont les meilleures pratiques pour mettre en place un shadow board ?

Voyez au-delà du groupe « à haut potentiel ». De nombreuses entreprises recrutent exclusivement pour leurs shadow boards des individus nommés par le comité exécutif ou déjà identifiés comme de hauts potentiels. Les millennials qui participent ont tendance à préférer un processus plus ouvert. Lars Haggstrom, de Stora Enso, a milité en faveur d’un processus de libre candidature – permettant à toute personne remplissant certains critères de postuler. Cette manière de faire a non seulement créé un groupe plus diversifié, mais cela a aussi permis à l’entreprise de repérer des perles rares dissimulées qui, autrement, seraient passées sous le radar. Il est intéressant de noter que l’entreprise a réalisé un test comparant les performances de ses quarante meilleurs hauts potentiels (qui étaient les grands favoris pour le programme) et celles des employés sélectionnés à travers le programme de recrutement ouvert. En ce qui concerne certaines compétences telles que l’analyse de données, la logique et le travail d’équipe, les membres du programme de recrutement ouvert ont surclassé les hauts potentiels.

Placez le programme sous le parrainage du P-DG. Pour que le programme ait un maximum d’impact, il doit recevoir du soutien des plus hautes sphères de l’organisation (bien que, sur le plan de la procédure, la plupart soient coordonnés par les ressources humaines). Par exemple, si le programme de shadow board d’AccorHotels a été un succès, c’est parce que le P-DG, Sébastien Bazin, a joué un rôle actif en faisant passer des entretiens aux candidats potentiels et en échangeant régulièrement avec les membres déjà en place. Chez Stora Enso, les membres rendaient directement compte au P-DG des questions liées au travail des « pathfinders » et « pathbuilders ».

Continuez d’évaluer et d’itérer. Toutes les entreprises que nous avons étudiées ont ajusté leurs programmes à mesure qu’elles apprenaient ce qui fonctionnait (et ce qui ne fonctionnait pas). Par exemple, les dirigeants de Stora Enso ont, chaque année, examiné le programme, ce qui les a conduits à ajouter des ressources pour optimiser la diversité dans le shadow board et les interactions entre celui-ci et le comité exécutif. Et si le programme YCO de GroupM a vu le jour comme un programme sur 12 mois, le groupe l’a prolongé d’un an afin que le YCO maximise les contributions potentielles.

Source : HBR

Cet article a aussi paru dans la version physique de votre magazine

A propos de l'auteur

Jules ADANLETE

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